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La Turquie au cœur du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest : comment Ankara redessinerait les équilibres d’influence au Tchad au détriment de Paris et Abou Dhabi

L’Afrique, et plus particulièrement la zone du Sahel et l’Afrique de l’Ouest, connaîtrait des mutations géopolitiques profondes, redessinant la carte de l’influence régionale et internationale. Au cœur de ces transformations, la Turquie s’imposerait comme un acteur émergent, dont l’influence croîtrait de manière soutenue, tandis que les puissances traditionnelles, notamment la France, traverseraient une phase de déclin marqué, traduite par des retraits militaires et une perte progressive de légitimité auprès des populations et des élites africaines.

Ankara parviendrait ainsi progressivement à s’affirmer dans un espace longtemps dominé par les puissances postcoloniales, grâce à une stratégie subtile mêlant discours symbolique anticolonial, appui militaire ciblé, coopération au développement à coût maîtrisé et pragmatisme économique.

Dans ce contexte, le Tchad incarnerait un exemple emblématique de la manière dont la Turquie renforcerait sa présence sur le continent. Depuis 2023, N’Djamena et Ankara auraient engagé une coopération multidimensionnelle, incluant notamment la fourniture de drones Bayraktar TB2, désormais intégrés, selon certaines sources, au dispositif de défense tchadien, particulièrement pour sécuriser les zones frontalières avec le Soudan et la Libye.

D’après des sources sécuritaires tchadiennes, la première unité spécialisée dans l’utilisation de ces drones suivrait des entraînements intensifs à partir de la base d’Abéché, sous supervision turque, marquant une intensification significative de la coopération militaire et une rupture nette avec le passé, lorsque les bases d’Abéché et de Faya-Largeau étaient sous contrôle français.

Contrairement aux accords militaires classiques, comme ceux qui liaient historiquement N’Djamena à Paris, la coopération avec Ankara s’inscrirait dans un cadre contractuel plus souple. Un officier tchadien, cité par l’AFP selon le média Eurasien Times du 30 juillet 2025, aurait indiqué qu’il n’existerait pas d’accord militaire formel, mais plutôt un contrat commercial permettant au Tchad d’acquérir du matériel militaire.

Dans cette dynamique, un accord conclu début 2025 autoriserait les forces turques à exploiter les bases d’Abéché et de Faya-Largeau comme centres de formation pour l’armée de l’air tchadienne à l’usage et à la maintenance des drones. Ces bases serviraient également à des missions conjointes de surveillance, notamment le long des frontières est et nord du Tchad, marquées par l’instabilité sécuritaire.

Depuis mars, le gouvernement du président Déby chercherait à renouer le dialogue avec l’administration soudanaise d’Abdel Fattah Al-Burhan, qui aurait posé comme conditions la fermeture de l’aéroport d’Amdjarass — utilisé par Abou Dhabi — et celle de la frontière terrestre. La Turquie jouerait un rôle de facilitateur en rassurant Khartoum sur les intentions tchadiennes. Elle aurait, dès janvier, déployé des drones de surveillance le long de la frontière, avec un accord d’accès à la base d’Abéché pour des opérations d’observation.

Le 9 mai 2025, la BBC rapporterait que la Turquie utiliserait la base d’Abéché pour collecter des renseignements sur l’implication présumée des Émirats arabes unis dans le conflit soudanais. Cela conforterait l’idée que les drones turcs joueraient un rôle stratégique bien au-delà du simple soutien à N’Djamena.

Quant à la fermeture de la base d’Amdjarass, douze avions Il‑76 — auparavant utilisés pour le transport d’armes à destination des Forces de soutien rapide — auraient été redéployés vers N’Djamena, selon Le Monde. Cette manœuvre contribuerait à apaiser les tensions avec Khartoum.

L’engagement turc ne se limiterait pas à la sphère militaire. Il s’appuierait sur une narration politique forte : Ankara se présenterait comme un partenaire musulman, ami des peuples africains, partageant des valeurs culturelles et historiques, se démarquant ainsi des anciennes puissances coloniales.

Ce discours, simple en apparence, trouverait un écho croissant dans les pays du Sahel, où la défiance vis-à-vis de la France s’accentuerait. Selon des instituts comme l’Atlantic Council, la Turquie tirerait avantage du « vide émotionnel et politique » laissé par le retrait français. Elle renforcerait ses liens non seulement avec les gouvernements, mais aussi avec les sociétés civiles, via l’action de la TİKA (Agence turque de coopération).

Ce qui distinguerait le modèle turc au Tchad, ce serait sa capacité à articuler présence sécuritaire et initiative économique. Des entreprises turques comme Erdem Group auraient lancé des projets d’investissement ambitieux. Le projet de transformation de l’aéroport de N’Djamena en hub régional de fret, discuté au Forum mondial des transports à Istanbul en juin 2025, illustrerait cette ambition.

À l’inverse, cette montée en puissance turque représenterait une menace directe pour les Émirats arabes unis, dont l’influence au Tchad serait en net recul. Longtemps, Abou Dhabi aurait utilisé la base d’Amdjarass comme relais logistique au profit de Hemedti et des Forces de soutien rapide dans le conflit soudanais. Ce soutien aurait exacerbé les tensions entre N’Djamena et Khartoum.

Mais l’intervention turque, notamment via des missions de reconnaissance aérienne renforcées, aurait permis de rétablir un climat de confiance entre le Tchad et le Soudan, favorisant la reprise des relations diplomatiques au cours de 2025.

Le démantèlement d’Amdjarass et le repositionnement des avions à N’Djamena s’inscriraient dans une stratégie visant à contenir l’influence émiratie, contrainte de se redéployer vers d’autres pays comme la RCA, l’Éthiopie, le Kenya ou l’Érythrée.

Toutes ces évolutions suggéreraient que la Turquie ne se contenterait pas de concurrencer la France en Afrique : elle se poserait également en rivale stratégique des Émirats, avec un modèle d’engagement plus souple, moins contraignant politiquement, et plus proche culturellement.

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