L’énigme de Toumaï : quand un accord secret devient un fardeau public

Il aura fallu un prétoire, les caméras et la tension d’un procès très médiatisé pour que Succès Masra, ancien Premier ministre devenu accusé, ressorte de l’ombre ce qu’il présente comme un pacte politique secret. Selon lui, le 21 octobre 2023, un « accord de Toumaï » aurait été conclu avec le président de la République : co-gestion du pays pendant dix ans et, en cas de défaite à la présidentielle, garantie de reprendre le poste de Premier ministre. Une révélation qui, plutôt que d’apporter des réponses, soulève une avalanche de questions.
Une promesse en décalage avec la Constitution
Première évidence : dans un régime où le mandat présidentiel est fixé à cinq ans, parler d’une co-gestion de dix ans relève d’une fiction juridique. Aucun arrangement privé, aussi solennel soit-il, ne peut réécrire la temporalité fixée par la Constitution. Les règles de durée et d’alternance du pouvoir ne se négocient pas entre deux personnalités, fût-ce le chef de l’État et le leader d’un grand parti. Sauf à admettre, implicitement, que le président Mahamat Idriss Deby Itno serait assuré de rester au pouvoir pour une décennie, ce qui interroge sur le statut réel de Masra en tant qu’opposant radical.
Valeur légale : du symbolique au théâtral
Même si ce pacte avait été signé, il ne serait au mieux qu’un gentleman’s agreement, une promesse politique sans aucune force contraignante. La nomination d’un Premier ministre relève du pouvoir discrétionnaire du président, mais reste soumise au jeu parlementaire : une Assemblée nationale hostile pourrait à tout moment retirer sa confiance. Autrement dit, même gravé sur un document officiel, cet « accord » n’offrirait aucune garantie réelle.
La clandestinité du texte interroge également : pourquoi ne pas avoir rendu public un engagement aussi décisif ? Par calcul stratégique ? Pour éviter un coût politique immédiat ? Ou par crainte d’écorner une image d’opposant irréductible ? Ce silence prolongé amoindrit aujourd’hui la portée de l’argument. Un accord politique ne pèse que s’il est assumé publiquement ou adossé à un cadre légal.
Pour un juriste interrogé par Le N’djam Times, cette situation illustre même « l’exception d’inexécution » : aucun des deux signataires n’est tenu de respecter sa part si l’autre, par ses actes, rend l’exécution impossible. Les tensions post-électorales, la rupture de confiance et l’éclatement de l’alliance suffiraient à enterrer un tel accord… s’il a réellement existé.
Une arme à double tranchant sur le plan politique
Sur le terrain politique, cette révélation fragilise la défense de Masra. Elle nourrit l’idée qu’il aurait discrètement pactisé avec celui qu’il combattait publiquement, misant sur un arrangement à huis clos plutôt que sur un mandat populaire. En cherchant à démontrer la mauvaise foi du président, il offre à ses adversaires un argument redoutable : celui de l’opportunisme.
La leçon à retenir
Le prétendu « accord de Toumaï » apparaît non seulement fragile juridiquement, mais aussi dangereux politiquement pour celui qui l’invoque. Dans un État de droit, les pactes secrets ne remplacent pas les institutions ; dans l’arène politique, leur révélation tardive ressemble à un coup mal préparé, qui met surtout en lumière les ambiguïtés de son auteur.
S’il a existé, il aurait dû être annoncé et assumé dès le départ. Resté dans l’ombre, il n’a été qu’un mirage ; exposé en pleine lumière, il devient un fardeau.